Plus belle la vie !

   Plus belle que quoi ? Difficile d'imaginer un titre plus idiot !

46. Avec mes enfants (adultes), nous avons peu à nous dire, sauf échanger des recettes de cuisine. Comme dans ces familles où un secret dramatique ou criminel paralyse toute communication véritable, car tout un chacun en est obsédé et toute parole risque d'y ramener.

Quel mon  indicible secret ? Que la vie "est une histoire pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot et qui ne signifie rien." (Macbeth, Shakespeare). Rien de pire (pas de sang sur les mains) mais rien de moins. Et si toute la vie sociale, tout le travail, les divertissements et fêtes n'avaient que pour seule raison d'être d'oublier cette vérité élémentaire ?

47. Et si je délirais ? Ils sont peut-être tous vraiment heureux autour de moi, tout juste préoccupés de problèmes matériels, scolaires et autres détails. Ou bien comme moi et comme peut-être la quasi-totalité de l'humanité, chacun d'eux s'arrange avec son cafard. Je n'en sais rien. Comment peut-on à ce point ignorer l'essentiel des gens qui vous entourent ? Serais-je aveugle et sourd ? Ou bien tout simplement, je refuse de voir et j'évite de poser des questions gênantes.

48. Ma carrière scientifique est, aux yeux de mes collègues, réussie. Des publications, qui sans atteindre le niveau des prix scientifiques, m'ont permis d'arriver rapidement à l'échelon maximum de mon "corps de fonctionnaire". Mais au fond que m'importent les résultats obtenus et les articles publiés. J'y ai passé un temps considérable, ce qui m'a permis de ne pas regarder le trou noir de l'absurdité et de me donner quelques satisfactions (atteindre un objectif que l'on s'est proposé, même de peu d'intérêt intrinsèque). Mais au fond, que m'importent l'avenir de l'Université, les postes et les crédits. Cela aussi je le cache. Des collègues et des étudiants me font confiance. Je continue, "j'avance", je joue la comédie.

49. Les films et les romans déroulent des vies pleines du sens voulu par les auteurs.  Même si ces vies sont erratiques, elles ont du sens en ce qu'elles sont des oeuvres.  Ces vies inventées me renvoient à la figure la médiocrité de la mienne.  Elles me montrent tout ce que j'aurais pu vivre, éprouver, créer. Toutes les femmes que j'aurais pu aimer, et faire jouir.

50. Je traverse un interminable désert parsemé de squelettes.  Ce sont les restes de mes rêves de jeunesse.