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La vie est une longue marche sans but
10 juin 2016

Louis-Ferdinand Céline et le dégoût de la Vie (II)

Celin2       Les citations qui suivent sont extraites du Voyage au bout de la nuit.

 

Autant pas se faire d'illusion, les gens n'ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c'est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. Ils essayent de s'en débarrasser de leur peine, sur l'autre, au moment de l'amour, mais alors ça ne marche pas et ils ont beau faire, ils la gardent tout entière leur peine, et ils recommencent, ils essayent encore une fois de la placer.

 

Mais quand on est faible ce qui donne de la force, c'est de dépouiller les hommes qu'on redoute le plus, du moindre prestige qu'on a encore tendance à leur prêter. Il faut s'apprendre à les considérer tels qu'ils sont, pires qu'ils sont c'est-à-dire, à tous les points de vue. Ça dégage, ça vous affranchit et vous défend au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Ça vous donne un autre vous-même. On est deux.

 

Tout dans ces moments vient s’ajouter à votre immonde détresse pour vous forcer, débile, à discerner les choses, les gens et l’avenir tels qu’ils sont, c’est-à-dire des squelettes, rien que des riens, qu’il faudra cependant aimer, chérir, défendre, animer comme s’ils existaient.

 

Tout notre malheur vient de ce qu’il nous faut demeurer Jean, Pierre ou Gaston coûte que coûte pendant toutes sortes d’années. Ce corps à nous, travesti de molécules agitées et banales, tout le temps se révolte contre cette farce atroce de durer. Elles veulent se perdre nos molécules, au plus vite, parmi l’univers ces mignonnes ! Elles souffrent d’être seulement « nous », cocus d’infini. On éclaterait si on avait du courage, on faille seulement d’un jour à l’autre. Notre torture chérie est enfermée là, atomique, dans notre peau même, avec notre orgueil.

 

Mais enfin, on est tous assis sur une grande galère, on rame à tour de bras, tu peux pas venir me dire le contraire!... Assis sur des clous même à tirer tout nous autres! Et qu'est-ce qu'on en a? Rien!

Des coups de trique seulement, des misères, des bobards et puis des vacheries encore. On travaille! qu'ils disent. C'est ça encore qu'est plus infect que tout le reste, leur travail. On est en bas dans les cales à souffler de la gueule, puants, suintants des rouspignolles, et puis voilà!

En haut sur le pont, au frais, il y a les maîtres et qui s'en font pas, avec des belles femmes roses et gonflées de parfums sur les genoux.

 

C’est  la manie des jeunes de mettre toute l’humanité dans un derrière, un seul, le sacré rêve, la rage d’amour. Elles apprendraient plus tard peut-être où tout ça finissait, quand elles ne seraient plus roses du tout, quand la poisse sérieuse de leur sale pays les aurait reprises, toutes les seize, avec leurs grosses cuisses de jument, leurs nichons sauteurs… Elle les tenait déjà d’ailleurs la misère au cou, au corps, les mignonnes, elles n’y couperaient pas elles. Au ventre, au souffle, qu’elle les tenait déjà la misère par toutes les cordes de leurs voix minces et fausses aussi.

 

Eh bien, c’est tout qui me répugne et qui me dégoûte à présent ! Pas seulement toi !... Tout !... L’amour surtout !... Le tien aussi bien que celui des autres… Les trucs aux sentiments que tu veux faire, veux-tu que je te dise à quoi ça ressemble moi ? Ça ressemble à faire l’amour dans des chiottes ! Tu me comprends-t’y à présent ?... Et tous les sentiments que tu vas chercher pour que je reste avec toi collé, ça me fait l’effet d’insultes si tu veux savoir… Et tu t’en doutes même pas non plus parce que c’est toi qui es une dégueulasse, parce que tu t’en rends pas compte… Et tu t’en doutes même pas non plus que tu es une dégoûtante ! Ça te suffit de répéter tout ce que bavent les autres… Tu trouves ça régulier… Ça te suffit parce qu’ils t’ont raconté les autres qu’il y avait pas mieux que l’amour et que ça prendrait avec tout le monde et toujours… Eh bien moi je l’emmerde leur amour à tout le monde !... Tu m’entends ? Plus avec moi que ça prend ma fille… leur dégueulasse d’amour !... Tu tombes de travers !... T’arrives trop tard ! Ça prend plus, voilà tout !... Et c’est pour ça que tu te mets dans les colères !... T’y tiens quand même toi à faire l’amour au milieu de tout ce qui se passe ?... De toute ce qu’on voit ?... Ou bien c’est-y que tu vois rien ?... Je crois plutôt que tu t’en fous !... Tu fais la sentimentale pendant que t’es une brute comme pas une… Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce à la tendresse ?... Ça passe alors ?... Pas à moi !... Si tu sens rien tant mieux pour toi ! C’est que t’as le nez bouché ! Faut être abrutis comme vous l’êtes tous pour pas que ça vous dégoûte… Tu cherches à savoir ce qu’il y a entre toi et moi ?... Eh bien entre toi et moi, y a toute la vie… Ça te suffit pas des fois ?

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  • Réflexions sur l'inutilité de la vie et des souffrances qu'elle engendre, et sur la catastrophe d'être né, dans la ligne de E. Cioran et des nombreux auteurs qui ont pensé et pensent de même.
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